La protection du salarié en cas de rupture anticipée d’un contrat à durée déterminée au Tchad : observations sur la portée de l’article 142 du Code du travail

mai 20, 2025
mai 20, 2025 admin

La protection du salarié en cas de rupture anticipée d’un contrat à durée déterminée au Tchad : observations sur la portée de l’article 142 du Code du travail

Le contrat à durée déterminée, par nature, lie les parties pour une durée fixe convenue à l’avance. Son usage est strictement encadré par le Code du travail tchadien, notamment aux articles 57 et 142. La rupture anticipée de ce type de contrat soulève des enjeux importants de sécurité juridique pour le salarié, particulièrement en l’absence de faute lourde et de respect de la procédure disciplinaire.

Dans un cas récemment soumis à analyse au cabinet, un salarié cadre, engagé initialement pour une durée d’un an, a vu son contrat prolongé par avenant pour une durée de deux ans supplémentaires.

Toutefois, une rupture est intervenue après la signature de cet avenant, dans un contexte disciplinaire controversé.

L’étude de ce cas nous permet d’interroger les conditions de validité d’une telle rupture, ainsi que les conséquences indemnitaires prévues par le droit tchadien.

  1. Le principe d’intangibilité du terme dans le CDD

Aux termes de l’article 57 du Code du travail, le contrat à durée déterminée doit comporter un terme précis dès sa conclusion. Si les relations contractuelles se poursuivent au-delà de ce terme sans renouvellement formel, elles s’inscrivent de plein droit dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée, conformément à l’article 66 du même code. Toutefois, lorsque le contrat est renouvelé formellement par avenant signé par les deux parties, comme en l’espèce, la nature déterminée du contrat subsiste.

Dans ce contexte, l’article 142 encadre strictement la possibilité de mettre fin au contrat avant son terme. Il précise que, sauf durant la période d’essai, l’employeur ne peut rompre unilatéralement un CDD qu’en cas de faute lourde du salarié, et en respectant rigoureusement les règles de la procédure disciplinaire prévues aux articles 91 à 98.

  1. L’encadrement juridique de la rupture anticipée du CDD

L’article 142 alinéa 1er dispose que :

« Sous réserve des dispositions relatives à la période d’essai, l’employeur ne peut unilatéralement mettre fin au contrat avant l’échéance du terme qu’en raison d’une faute lourde commise par le salarié et en respectant les dispositions relatives à la procédure disciplinaire prévue aux articles 91 à 98. »

Ce texte impose donc une double condition cumulative : la constatation d’une faute lourde, et le strict respect de la procédure. En l’absence de l’un ou l’autre de ces éléments, la rupture est irrégulière.

L’alinéa 2 prévoit alors une réparation intégrale au profit du salarié :

« Toute rupture du fait de l’employeur qui n’est pas justifiée par une faute lourde du salarié, ouvre droit pour ce dernier à une indemnité égale aux salaires et avantages de toute nature dont le salarié aurait bénéficié pour la période restant à courir jusqu’au terme de son contrat. »

La jurisprudence sociale tchadienne, bien que peu abondante, tend à appliquer ce principe avec rigueur. Dans le cas étudié, le salarié disposait encore de 22 mois de contrat au moment de la rupture, ce qui aurait pu fonder une réclamation à hauteur de l’intégralité des salaires restants, soit une somme de 110 000 USD pour une rémunération mensuelle brute de 5 000 USD.

  1. La sanction du non-respect de la procédure, même en cas de faute

L’article 142 va encore plus loin en prévoyant une sanction spécifique au non-respect de la procédure, indépendamment même de la validité du motif :

« Toute rupture du fait de l’employeur, justifiée ou non par une faute lourde du salarié, mais prononcée sans respect de la procédure disciplinaire, ouvre droit pour le salarié à une indemnité égale au quart de l’indemnité précédente, que celle-ci soit due ou non. »

Ainsi, même si une faute lourde était caractérisée, l’absence de convocation régulière à un entretien préalable, ou le non-respect des droits de la défense du salarié, suffit à générer une indemnité compensatrice minimale équivalente à 25 % des salaires restant dus.

Dans le cas d’espèce, la procédure engagée par l’employeur s’était limitée à une demande d’explication écrite, remise au salarié en main propre. Or, selon l’article 93 du Code du travail, la convocation à un entretien disciplinaire doit préciser expressément la date, l’heure, le lieu, le motif de l’entretien et le droit pour le salarié de se faire assister. L’omission de ces éléments prive la procédure de toute validité.

  1. La portée protectrice du dispositif légal

La combinaison des articles 142 et 93 révèle une volonté claire du législateur tchadien : protéger le salarié contre toute décision unilatérale abusive de l’employeur, même lorsque celui-ci invoque des raisons disciplinaires.

Le régime applicable aux CDD n’est pas moins protecteur que celui des CDI. En cas de rupture anticipée irrégulière, le salarié peut prétendre :

  • soit à l’intégralité des rémunérations restant dues jusqu’au terme du contrat ;
  • soit, en cas de rupture irrégulière mais justifiée par une faute, à 25 % de ce montant, à titre de réparation minimale.

Cette architecture juridique place l’employeur devant une exigence de rigueur procédurale absolue, condition sine qua non pour limiter sa responsabilité financière.

Conclusion

L’affaire analysée illustre avec clarté les mécanismes protecteurs du droit du travail tchadien en matière de contrats à durée déterminée. La rupture anticipée d’un CDD est une mesure d’exception, strictement encadrée. Toute déviation, qu’elle porte sur l’existence de la faute ou sur la régularité de la procédure, ouvre droit à réparation pour le salarié, sur des bases clairement définies par l’article 142.

Cette disposition, peu commentée jusqu’ici, constitue un levier efficace de protection contre les ruptures arbitraires. Elle invite les praticiens à une vigilance accrue dans l’analyse des motifs, des délais et des formalités entourant la fin anticipée d’un CDD.

Me Sintes DINGAMGOTO
Avocat aux barreaux de Paris et du Tchad